Giacomo Leopardi et la passion de la cuisine : quand la nourriture devient poésie

Giacomo LeopardiEn Italie, l’air fleure bon la poésie, y compris dans les ruelles du centre de Naples : non seulement la poésie de la rue, ses parfums, sa nourriture et ses passants (ce qui fait déjà beaucoup), mais aussi celle du souvenir que ces lieux gardent de Giacomo Leopardi, le plus célèbre poète (et philosophe) de l’Italie du dix-neuvième siècle, ainsi que l’une des plus importantes figures de la littérature mondiale.

Au 9 Vico della Quercia se trouve une minuscule boutique-restaurant, Timpani e Tempura, un « petit temple » de la cuisine de rue napolitaine du centre-ville.

Le chef et propriétaire, Antonio Tubelli, est également l’auteur du livre Leopardi a tavola (Leopardi à table), écrit en collaboration avec Domenico Pasquariello, d’après une étude des notes privées du Zibaldone (le journal intime qui comprend un grand nombre de réflexions du poète).

Giacomo Leopardi nourrissait assurément une grande passion pour la cuisine italienne. Ou peut-être faudrait-il dire 49 passions : c’est autant de plats dont il a minutieusement dressé la liste (comme il avait coutume de le faire de ses réflexions philosophiques). Nombre d’entre eux peuvent encore être dégustés de nos jours, au fameux Tempani e Tempura.

Restaurant de TubelliAntonio Tubelli souligne l’incroyable gourmandise du poète, sa curiosité de la nourriture et de la vie, qui lui vinrent lors de ses périples, au gré des mouvements culturels de l’époque : de sa Recanati natale, petite ville des Marches sur la côte orientale du centre de l’Italie, à Milan, Bologne, Florence, Pise et enfin Naples, lieu-même, d’après Tubelli, de ses réjouissances culinaires.

Leopardi parvint à Naples en suivant un ami qu’il avait rencontré à Florence, Antonio Ranieri, où ce dernier s’était trouvé exilé en compagnie d’un cuisinier, Pasquale Ignarra, qui deviendrait le chef personnel de Leopardi dans sa Villa Le Ginestre de Torre del Greco, « merveilleuse habitation bucolique au pied du Vésuve, qui appartient aujourd’hui au Ville del Miglio d’oro — ce segment de route entre Naples et le Reggia di Portici, parsemé de splendides demeures aristocratiques ».

Livre Leopardi a tavolaC’est là qu’une figure foncièrement plus dynamique que le poète, connu pour son pessimisme cosmique, sa fragilité et ses souffrances mémorables, émerge des mots de Tubelli (de même qu’au sein d’une récente production filmée, Il Giovane favoloso, que nous espérons voir très bientôt lors d’un festival du cinéma international).

« Dans plusieurs lettres adressées à sa sœur, Leopardi évoque le bien-être qu’il trouve dans la bonne nourriture, et du rapport qu’il devait exister avec l’endroit où il vivait. En effet, Torre del Greco était renommée pour son air sain et particulièrement recommandée en cas de difficultés respiratoires », explique Tubelli.

Cependant, Leopardi quittait volontiers Villa Le Ginestre pour se diriger vers les ruelles du centre de Naples : « il appelle les Napolitains des mangiamaccheroni (mangeurs de macaronis), ce qui met en valeur les usages locaux et établit qu’il fréquentait les débits de nourriture de la rue, où même les prolétaires pouvaient manger des macaronis — un privilège réservé à la noblesse de cette époque.

Il possédait aussi un appétit marqué pour les sorbets, qu’il appréciait dans un bar de la Piazza Carità (non loin de l’endroit où se trouve aujourd’hui le glacier La Scimmia. Il avait pour habitude d’en commander plusieurs à la fois, afin de pouvoir les déguster tous ensemble. Il se serait damné pour des confetti cannellini di Sulmona — un genre de dragée originaire d’une délicieuse petite ville du centre de l’Italie méridionale, ainsi nommée en raison de l’éclat de cannelle qu’elle renferme.

Chef Antonio TubelliLes plats mentionnés par Leopardi ne sont pas uniquement napolitains : « sa liste est un bref résumé de la gastronomie italienne », poursuit Tubelli, « il y a des tortellinis, des raviolis, des timpani di magro (un plat de pâtes maigre)… ». L’ouvrage contient aussi les recettes de certains « plats leopardiens », que Tubelli a « déduits » de la liste compilée par le poète, et qu’il sert à présent dans son restaurant.

Le timpani, par exemple — « un terme méridional qui désigne le timballo (une spécialité à base de pâte cuite au four) — est typique de la nourriture de la rue, car on peut le découper en tranches, et on peut le manger avec les doigts ». D’ailleurs, dans son établissement, Tubelli invite toujours les clients à se débarrasser de leurs fourchettes, « afin de renouer avec la relation fondamentale, charnelle et ancestrale que l’on devrait avoir avec la nourriture qui, au lieu de cela, est immédiatement mise sous contrôle dès la fin de l’allaitement ».

Le terme tempure semble nous orienter du côté du Japon, mais Tubelli nous explique de façon surprenante qu’il provient du latin tempora, qui désignait les périodes d’abstinence tout au long du calendrier ecclésiastique : il s’agit d’un plat d’origine monacale. Durant les périodes d’abstinence, les moines ont probablement inventé ce type de friture pour éviter de manger en permanence des légumes bouillis.

Ce sont les jésuites portugais qui l’ont exporté en Orient. Voilà pourquoi j’ai choisi ce second nom, qui rappelle que Naples est la grande capitale méridionale, où depuis la nuit des temps convergent les traditions culturelles et culinaires les plus variées.