22 Nov 2012 Ma Sicile
Ma Sicile est une métaphore..Exactement comme le titre du livre interview que j’ai ècrit en 1979 avec l’écrivain Leonardo Sciascia pour les éditions Stock et qui a été traduit en italien chez Mondadori.
Je l’ai dècouverte , la Sicile,en 1975, j’avais rendez vous avec Sciascia , justement, qui venait d’accepter d’etre candidat “indèpendant” sur les listes du Parti communiste pour les municipales à Palerme. Et cela excitait beaucoup la rèdaction du Nouvel Observateur : comment un écrivain critique, sceptique meme, pouvait tout à coup se lancer dans la politique ?En Sicile en plus ?
Je fis le voyage en train, passant nuitamment le dètroit de Messine, et de mon wagon lit, je commençai à entrevoir le matin des maisonnettes aux toits arabes, des palmiers, des paysages qui me semblaient très contrastès. J’avertissais meme dans l’environnement comme un air de violence. Mais c’était seulement l’effet d’une lumière trop vive, d’une végétation trop luxuriante, et, je le réalisai plus tard, l’effet de rencontres avec des personnages hors du commun. Car chaque Sicilien est un personnage de roman. Quelqu’un qui dit se mèfier de tout ce qui regarde la vie privèe, mais qui en fait vous abreuve de details à la première occasion. Chaque Sicilien est, à un moment donnè de sa vie, contraint à rèsoudre ce terrible dilemme : etre un lache ou un héros. Oui, car la présence constante ,pas toujours dramatique mais constante, meme dans les petites affaires de la vie courante, de la mafia, les contraint ou bien à faire semblant de ne pas voir (d’où la “lacheté”), ou bien à se rèvolter , et à choisir l’hèroisme. C’est donc un étrange et fascinant destin que celui de ce peuple béni des Dieux pour sa richesse, ses paysages, sa cuisine, son passè archéologique, que d’etre confronté à de grands dilemmes dignes d’une tragèdie grecque. Oui la Grèce est dans l’ile hyper prèsente, et voyager en Sicile est voyager dans le coeur de la civilisation occidentale.On la respire,cette civilisation, dans les villes et les villages, mais aussi en rase campagne, dans les vastes étendues des ex “latifondi”, elle fait partie del’air du temps.
Mais revenons à Sciascia .Je me suis donc rendue en voiture à Racalmuto, le patelin où il vivait l’été, accompagnèe par un professeur de lettres de l’Universitè de Palerme. Nous arrivons sur la colline de La Noce, au milieu des vignes: un déjeuner délicieux nous attendait (des pates aux olives) , et Sciascia commençait à parler de Paul Louis Courier, de Paris, de l’hotel du Pont Royal où il descendait à chacun de ses voyages.Je me sentais en pays de connaissance, car la France est un point de réfèrence essentiel pour le Sicilien “illuministe”. Il expliquait aussi son engagement politique : il fallait etre du cotè du Parti qui essayait de changer les choses, qui luttait contre l’éternel immobilisme insulaire , et il répétait la phrase assassine du “Guèpard” qui voulait , lui, “tout changer pour que rien ne change”. C’est ce jour là qu’est nèe en moi l’idèe de faire un livre avec Sciascia, un livre qui rèsume sa Sicile, son engagement d’intellectuel et sa vision du monde.
Bien sur, je suis revenue mille fois dans l’ile, mais la deuxième grande rencontre que j’y ai faite , c’est en 1984 , à l’automne 1984. Les journaux parlaient beaucoup des confessions d’un “repenti” de la mafia, Tommaso Buscetta, que le juge Giovanni Falcone était en train d’interroger..J’obtiens un rendez vous avec lui vers la fin d’un après midi d’automne au tribunal de palerme, Falcone me reçoit dèsolè, parce qu’il ne peut respecter ses engagements , il doit aller immèdiatement à la prison de l’Ucciardone. Lorsque je lui propose de nous voir à diner ,il répond “Ce n’est pas très hygiénique”. Et suggère alors que nous repartions ensemble le lendemain pour Rome avec l’avion de 7 heures du matin, nous aurions eu l’occasion de parler pendant le vol. Hélas, pendant le vol , nous fumes assis à cotè de Marco Pannella, leader radical, qui à l’époque flirtait avec le “Pape” de Cosa Nostra, Michele Greco. Alors Falcone me dit de rentrer chez moi, qu’il me ferait appeler en fin de matinèe.. J’étais profondément dècouragée. Vers 12heures30 cependant, un homme de la Guardia di Finanza m’appelle pourtant, me fixant un rendez vous à un coin de rue, il me fait monter sur une voiture et après mille détours, nous atterrissons dans une caserne de la Guardia, nous descendons des marches, et dans un sous sol bien éclairè et agrèmentè d’un feu de cheminée, j’entrevois Falcone assis à une table toute prète. Je n’en crois pas mes yeux. Mais ce jour là est nèe une amitié, qui a debouché sur l’ècriture du livre “Cosa di Cosa nostra” en 1991, juste six mois avant sa mort. Si je raconte ces épisodes , c’est pour faire comprendre que ma rencontre avec la Sicile c’est d’abord la rencontre avec les Siciliens, et que ces rencontres sont toujours extremement romanesques, fantastiques, pleines d’imprévus et absolument fascinantes. Les Siciliens vivent dans une atmosphère de roman. Ils sont des personnages inoubliables. Ce n’est pas un hasard si les plus grands romanciers italiens proviennent de cette ile.
Tout cela pour dire que mon approche de la Sicile, si attirante pour ses paysages, ses produits, ses monuments, l’est pour moi plus encore à cause de ses personnages, qui vivent dans cet extreme pointe de la civilisation occidentale, au contact avec le monde arabe , et où le dialogue rationalité-irrationalité est chaque jour dramatiquement présent. Ma Sicile est une métaphore de la raison.